Le français n’est plus la langue de Molière 

Je viens de lire Le français va très bien, merci des linguistes atterrées*. Je suis évidemment très sensible à la langue française. Je me bats avec elle, et parfois contre elle, pour tenter d’en extraire le meilleur. Je suis à la fois émerveillé par sa richesse et ses beautés et attentif à son avenir. Ce petit précis de 64 pages renverse 9 idées reçues. J’en ai tiré, comme un éleveur au pis de la vache, 9 articles. Voici le premier .

La langue a changé
Molière a écrit ses pièces il y a 350 ans. Depuis, le vocabulaire a évolué : certains mots ne s’utilisent plus, comme jocrisse (sauf par le Capitaine Haddock) ou pimpesouée, d’autres ont vu leur sens modifié.
La grammaire aussi a changé : le relatif dont pouvait être employé de façon très libre et laisser à penser que Molière lui-même écorchait … la langue de Molière.

Pas touche au symbole
Certains ont proposé de transposer ses pièces en français contemporain pour les rendre plus faciles à comprendre. Comme si « traduire Molière en français contemporain, ce serait traduire du bon français en … mauvais français ».

Fossiliser le français entretient une illusion
La graphie d’origine a changé : fini le tilde au-dessus de la voyelle pour indiquer qu’elle était nasale. Modifiée aussi la prononciation, lorsqu’on écoute des lectures reconstituées, la langue de Molière passerait presque pour une langue étrangère.

Molière n’était pas classique
Il est donc paradoxal de citer Molière pour défendre une vision puriste de la langue. La sienne était jargonnante et truffée d’inventions délirantes, comme lors de la cérémonie du Mamamouchi du Bourgeois gentilhomme.

Le français évolue, comme toutes les langues
Le XVIIème siècle s’est plu à construire cette image d’une langue figée, d’une pérennité du français à travers les siècles. « On croyait au « génie de la langue », une représentation confuse et indémontrable de son identité ». Depuis, on continue à s’accrocher à la nostalgie du mythe.

Aujourd’hui, le processus s’accélère
Le français de 2023 n’est déjà plus celui de 2000. Des fautes actuelles seront peut-être la norme en 2050. A chaque période, « diverses manières de dire coexistent, dues à la diversité des usages, des phénomènes de mode, de la porosité entre les langues, de la nécessité de nommer les innovations » … Jusqu’à ce qu’une variante s’impose (plus ou moins) par rapport aux autres.

Etudier la langue de Molière plutôt qu’en parler
En se dotant d’une culture linguistique, « on comprend mieux que chaque époque – comme chaque langue – a ses propres manières de dire ». On accède à sa richesse en abordant sa propre langue comme une langue étrangère.
On la questionne, on en saisit le fonctionnement pour ressentir véritablement ce qu’elle a à nous dire.

A suivre : le français n’appartient pas à la France

  • Collection Tracts Gallimard, n° 49, mai 2023 / 3,90 €

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