La récente disparition d’Alain Delon a remis sur le devant de la scène cette phrase extraite du film de Visconti, Le Guépard, tiré d’un roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Réplique culte, elle suscite, tant sur la forme que sur le fond, moult commentaires et interprétations.
Sur la forme
La phrase exacte, dans la version française du film, reprend la traduction du roman par Fanette Pézard : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ». Cette citation a engendré de très nombreuses versions plus ou moins approchantes.
Celle qui reste, citée en titre de cet article, est la forme parfaite, à la fois plus simple et plus directe. Elle ne signifie pas tout à fait la même chose : son apparent paradoxe la rend plus séduisante et plus mystérieuse. Mais l’important n’est pas ce qu’a écrit Lampedusa ou dit Delon, c’est ce qu’en fait la postérité. Les petites phrases sont façonnées par leur public. « Print the legend ! »
Sur le fond
Le livre se situe en Sicile en 1860 sur fond d’unification de l’Italie. Loin de les opposer, ces événements rapprochent le Prince Salina (Burt Lancaster) et Tancrède (Alain Delon) qui représente un ordre futur, une nouvelle aristocratie, qui remplacera l’ancienne.
Cet aphorisme exprime magnifiquement tout l’enjeu du roman : changer et vivre ou rester tel quel et disparaître. Tancrède représente l’aristocratie ayant accepté de changer et de vivre avec son temps, abandonnant la morale liée à la pureté du sang pour d’autres valeurs plus pragmatiques comme le succès et l’argent.
Une brulante actualité
La stabilité et l’instabilité ont une relation compliquée. Peut-on trouver de la régularité dans le chaos ? Le changement nous ramènera-t-il toujours à notre point de départ ?
Chacun est libre d’interpréter cette fulgurante maxime comme il l’entend … ou selon ses intérêts. L’analyse la plus plausible renvoie à la responsabilité du pouvoir en place et la nécessité, pour rester dans un monde qu’il souhaite sauvegarder, d’accepter d’inévitables changements.
Il est toujours difficile de consentir à une brutale remise en cause. Mais sans maintenir dans sa pureté un certain art de penser et de vivre, sans faire bouger aujourd’hui ses propres lignes rouges, que peut-on espérer demain ?
Laissons le mot de la fin à un autre grand écrivain italien, Italo Calvino : « un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ».